J’en frissonne encore, 18 ans après… Alors que j’étais dans le bureau d’un notaire pour signer l’achat d’une maison, celui-ci a interpellé violemment sa clerc qui avait fait une erreur mineure : « de toute façon, vous êtes con ! »
La vie en commun n’est jamais simple, et dans l’entreprise, les caractères des personnes, les objectifs différents, les injonctions managériales et les différences d’éducation ne contribuent pas à faciliter la communication. De ce fait, la critique est un exercice très pratiqué en entreprise, sous des formes très diverses, et qui peut produire des dommages très graves.
Est-ce à dire que toute critique est à bannir ? La critique peut-elle avoir des effets positifs ? Et si oui, y a-t-il de bonnes façons de la pratiquer ? De très nombreux experts en communication se sont penchés sur ces questions : chez les anciens, nous citerons Socrate et les rédacteurs de la Bible. Chez les modernes, citons Porter, mais on pourrait multiplier à l’infini les références. Regardons de plus près…
La critique est-elle à bannir ?
Tous les experts en communication s’accordent sur un point : il faut discerner. Et ces mêmes experts proposent souvent plusieurs types de critères :
La critique est-elle fondée ?
La critique est-elle adressé directement à la personne concernée ?
Et j’y ajouterai, en référence à l’anecdote du début : critique, ou jugement ?
Critique ou jugement ? C’est l’américain Porter qui parle d’une attitude de jugement. Dans le langage de l’analyse transactionnelle (une approche très utilisée dans la communication en entreprise), on parle des signes de reconnaissance. Dire à quelqu’un « tu es con » est un signe de reconnaissance inconditionnel négatif, car on ne parle pas d’une action, mais de la personne toute entière. C’est un jugement. Au contraire, dire à quelqu’un « tu as mal fait ce travail » est un signe de reconnaissance conditionnel négatif, car on parle d’une action, et non de l’intégralité de la personne. C’est une critique. (A noter, il existe aussi des signes de reconnaissance positifs, qu’ils soient ou non conditionnels).
A qui s’adresse-t-on ? Un des sports les plus pratiqués en entreprise est de dénigrer les collègues, les chefs, ou les personnes du service voisin. Mais il est plus rare qu’une critique soit adressée directement à la personne concernée. C’est qu’en effet il faut pour cela un peu de courage ! Et pourtant, c’est bien la première condition d’efficacité d’une critique : la personne concernée doit l’entendre directement.
La critique est-elle fondée ? c’est le dernier critère de discernement, mais il est essentiel. Est-ce que je suis sûr des faits que je vais reprocher à la personne ? Bien sûr, dans certains cas, ils sont incontestables, mais qu’en est-il si je m’appuie sur des faits que l’on m’a rapporté, ou sur des on-dit ? Bien sûr, dans le management, il est difficile d’être présent chaque fois qu’il y a un problème ou qu’une erreur est commise; mais il est toujours utile de rechercher des informations aussi factuelles que possible, ou, comme nous le verrons, de discuter d’abord avec la personne avant d’émettre une critique.
Alors la critique est-elle à bannir ? Certainement pas, car elle peut être utile sous certaines conditions. Comme le dit la Bible : « Anneau d’or, collier d’or pur est la critique du sage pour l’oreille attentive ».
La critique peut-elle vraiment avoir des effets positifs ?
Nous connaissons tous des personnes qui, lorsqu’ils prennent la parole, ont un tic de langage, et qui tous les trois mots répètent : « euh ! » ou bien « et caetera » ou encore « voilà ». Et nous savons tous combien cela nous énerve ! Mais savez-vous que la plupart de ces personnes ne sont tout simplement pas conscients de ce tic ? Et que bien souvent, le simple fait de leur en faire prendre conscience suffit à le faire disparaître ?
Voilà un premier effet positif d’une critique bien faite : lever des méconnaissances. Ces méconnaissances peuvent me concerner (je ne sais pas que je fais mal) ou concerner les autres (je ne suis pas conscient des conséquences de mon comportement sur les autres), et le fait d’en prendre conscience, par l’intermédiaire d’une critique, peut m’aider à améliorer la situation.
Un autre effet positif de la critique concerne l’apprentissage. Ce qui nous fait apprendre, ce sont nos erreurs, à la condition que nous nous rendions compte qu’il s’agit d’erreurs. La critique est donc une condition nécessaire de tout apprentissage.
Notons enfin un troisième effet positif de la critique, pour celui qui la dit : il est très utile pour chacun d’entre nous d’exprimer nos sentiments, nos émotions, et si quelque chose nous déplaît, nous met mal à l’aise, le fait de le dire va nous faire du bien. C’est donc une attitude saine envers nous-même que d’oser dire à quelqu’un ce qui ne va pas et les conséquences que cela a pour nous.
Critiquer c’est OK, nous venons de le voir. Mais comment s’y prendre ? Je vous propose d’y réfléchir dans la deuxième partie de cet article.